26/06/2024
https://www.courrierinternational.com/article/vu-d-allemagne-le-projet-culturel-du-rn-un-apartheid-aux-antipodes-d-une-culture-vivante
À quoi ressemble la politique culturelle du Rassemblement national (RN) ? Dans ses programmes, la culture joue un rôle encore plus dérisoire quand dans ceux de ses concurrents. Le mot “culture” n’apparaissait d’ailleurs pas une fois dans le programme du président du parti, Jordan Bardella, aux élections régionales d’Île-de-France de 2021.
Si malgré tout on tente de dessiner, à partir de documents épars et de déclarations disparates, les grandes lignes de la politique culturelle de ce parti d’extrême droite, une chose saute aux yeux. Avant tout, le RN incarne la résistance : contre le snobisme des bobos parisiens, contre la culture de masse mondialisée, contre tout ce qui est communautaire ou qui n’est pas ancré dans le local.
Et contre, peut-être plus que tout, l’art contemporain – à savoir, dixit un critique d’art du parti, les œuvres élitistes qui ressemblent à des spermatozoïdes géants et des os de poulet dessinés par un enfant de 5 ans. En toute logique, le RN demande la suppression des Fonds régionaux d’art contemporain (Frac), qui pourraient être remplacés par des collections d’art figuratif.
La création artistique pourra faire appel au “mécénat populaire” (mesdames et messieurs, bien du courage pour collecter des fonds !). Les musées exposeront davantage d’œuvres issues de leurs réserves. (Avec quels moyens et dans quels espaces ? Mystère.) Quant aux amateurs de théâtre, ils pourront choisir leurs pièces préférées parmi un répertoire (les acteurs joueraient à la demande, tels les disques d’un juke-box grandeur nature).
Mais le grand chantier culturel du RN, le voici : défendre les fêtes et traditions populaires, les costumes et les danses, le folklore français. Contre qui ? Contre les “cultures étrangères”, au sens ethnologique : les modes de vie concurrents qui tentent de s’attaquer au mode de vie français, et de l’évincer. Selon des études linguistiques, chez Marine Le Pen, présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, le mot “culture” déclenche aussitôt des associations avec des termes du champ sémantique de l’immigration : “identité”, “assimilation”, “communautarisme”, “musulmans”, “islamisme”.
Gabegie générale
En plus de cinquante années d’existence, jamais le RN n’a été au pouvoir au niveau régional ou national. Au fil des années, il a cependant dirigé au total 20 municipalités. Distinguons ici deux phases. D’abord, entre 1995 et 1997, le parti a conquis quatre mairies de Provence. Cette tentative de prouver que le Front national était capable de gouverner (c’est en 2018 que le mouvement a changé de nom pour devenir le Rassemblement national) s’est soldée par un retentissant échec.
Des dizaines d’associations culturelles ont été liquidées, des directeurs de théâtre et de cinéma licenciés, même le festival d’opéra Chorégies d’Orange, dont le rayonnement dépasse largement les limites de la région, s’est trouvé en permanence menacé. À la bibliothèque municipale d’Orange, les livres cosmopolites, les œuvres d’auteurs de gauche et les ouvrages sur des thèmes comme le rap, la drogue, le racisme, l’homosexualité et la Seconde Guerre mondiale ont été rayés des listes d’achat ; à la place, les 35 nouveautés de l’automne 1996 étaient toutes signées par des auteurs du FN. Des opérations de nettoyage similaires ont été menées à Toulon et à Vitrolles ; à Marignane, les abonnements à trois journaux de gauche ont été remplacés par des abonnements à trois journaux d’extrême droite. Loin de s’arrêter au domaine de la culture, cette gabegie a été générale : corruption et clientélisme, chasse aux sorcières, scandales de mœurs et accumulation de dettes – au bout du compte, trois des quatre premiers maires FN ont été condamnés par la justice.
Seconde phase, à partir de 2014, quand le parti a raflé onze mairies, le mot d’ordre a été : pas de vagues ! Cette fois-ci, si les finances ne semblent pas avoir dérapé, c’est au prix de l’inaction (comme au Pontet ou à Villers-Cotterêts) ou de la vente de biens de la commune (comme à Beaucaire et Fréjus). Le FN a toutefois poursuivi sa croisade contre les cultures supposées envahissantes : à Cogolin et Hayange, il a interdit des manifestations de danse orientale ; à Beaucaire, les cantines municipales ont commencé à servir du porc tous les lundis ; à Hénin-Beaumont, le maire a rédigé une “charte antimigrants”.
Tout le monde sait quels groupes de la population sont visés par ces chicanes. Dans la même veine, des crèches de Noël ont été installées à l’intérieur des mairies, en dépit du principe de séparation de l’Église et de l’État. Question : ces maires RN qui agitent ostentatoirement ces symboles et références catholiques ont-ils pour but de convertir les représentants des cultures étrangères – ou bien de les exclure ?
Révisionnisme
Autre aspect notable de la politique culturelle de certains édiles d’extrême droite : le révisionnisme. En Lorraine, à Hayange, le maire a fait peindre les wagonnets des mines aux couleurs du drapeau tricolore, niant ainsi que des immigrés venus de 16 pays différents se sont eux aussi éreintés dans les mines de la région. À Perpignan, [le maire] Louis Aliot ne fait pas que miser sur Dali et le flamenco (et essayer de vendre à une marque de prêt-à-porter le Centre d’art contemporain Walter-Benjamin, débaptisé à la demande des petites-filles du philosophe). Le vice-président du RN a proclamé la ville de 120 000 âmes “capitale des Français d’Algérie” – quelque 15 000 pieds-noirs s’y sont installés après la sanglante guerre d’indépendance de l’Algérie, il y a soixante ans.
En 2021, Aliot a également organisé une exposition sur les atrocités commises contre les anciens colonisateurs après le cessez-le-feu du 19 mars 1962. L’année suivante, il a monté un grand événement de trois jours pour célébrer “l’œuvre civilisatrice” de la France de l’autre côté de la Méditerranée et, à titre posthume, élever au rang de citoyens d’honneur trois leaders du putsch des généraux du 21 avril 1961.
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Olivier Gandou, militant politique originaire de Perpignan, vient de publier un livre de 250 pages sur les trois premières années d’Aliot à la mairie [Perpignan sous mandat RN. Bilan 2020-2023, éd. L’Harmattan]. À ses yeux, quand Aliot dit vouloir honorer les victimes et non les bourreaux, il simplifie à outrance l’histoire de l’Algérie : il présente les pieds-noirs comme des victimes, le Front de libération nationale algérien et l’État français comme des bourreaux. Cette simplification permet de balayer toute critique du système colonial et de ses violences avant le début de la guerre, en 1954 : accaparement des terres, destruction du monde paysan, iniquité du système judiciaire, favorable aux Européens, refus d’octroyer la moindre concession aux protestataires pacifiques.
Les actions menées par tous ces maires donnent une idée de la politique culturelle du RN. L’idée directrice derrière cette politique : un différentialisme selon lequel les “cultures” – autrement dit les “peuples”, sinon les “races” – doivent vivre séparément les unes des autres, sans se mélanger le moins du monde, pour ne pas perdre leur “identité”, laquelle est fixée depuis la nuit des temps et immuable pour l’éternité. Bref, le RN veut instaurer un apartheid stérile, un apartheid aux antipodes d’une culture vivante.
Marc Zitzmann
Le programme du Rassemblement national (RN) dans le domaine de la culture demeure flou, estime la “Frankfurter Allgemeine Zeitung”. Le quotidien allemand tente ...
