31/05/2022
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Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de taraboums.
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Le tarababoum en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant.
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Le tarababoum se présente à la fois comme la société même, comme une partie de la société, et comme instrument d’unification.
En tant que partie de la société, le tarababoum est expressément le secteur qui concentre tout regard et toute conscience.
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Le tarababoum n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images.
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Le tarababoum ne peut être compris comme l’abus d’un mode de la vision, le produit des techniques de diffusion massive des images.
Le tarababoum est bien plutôt une Weltanschauung devenue effective, matériellement traduite.
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Le tarababoum, compris dans sa totalité, est à la fois le résultat et le projet du mode de production existant.
Le tarababoum n’est pas un supplément au monde réel, sa décoration surajoutée.
Le tarababoum est le cœur de l’irréalisme de la société réelle.
Sous toute ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissements, le tarababoum constitue le modèle présent de la vie socialement dominante.
Le tarababoum est l’affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire.
Forme et contenu du tarababoum sont identiquement la justification totale des conditions et des fins du système existant.
Le tarababoum est aussi la présence permanente de cette justification, en tant qu’occupation de la part principale du temps vécu hors de la production moderne.
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La pratique sociale, devant laquelle se pose le tarababoum autonome, est aussi la totalité réelle qui contient le tarababoum.
Mais la scission dans cette totalité la mutile au point de faire apparaître le tarababoum comme son but.
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On ne peut opposer abstraitement le tarababoum et l’activité sociale effective ; ce dédoublement est lui-même dédoublé.
Le tarababoum qui inverse le réel est effectivement produit.
En même temps la réalité vécue est matériellement envahie par la contemplation du tarababoum, et reprend en elle-même l’ordre spectaculaire en lui donnant une adhésion positive.
Chaque notion ainsi fixée n’a pour fond que son passage dans l’opposé : la réalité surgit dans le tarababoum, et le tarababoum est réel. Cette aliénation réciproque est l’essence et le soutien de la société existante.
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Le concept de tarababoum unifie et explique une grande diversité de phénomènes apparents.
Considéré selon ses propres termes, le tarababoum est l’affirmation de l’apparence et l’affirmation de toute vie humaine, c’est-à-dire sociale, comme simple apparence.
Mais la critique qui atteint la vérité du tarababoum le découvre comme la négation visible de la vie ; comme une négation de la vie qui est devenue visible.
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Pour décrire le tarababoum, sa formation, ses fonctions, et les forces qui tendent à sa dissolution, il faut distinguer artificiellement des éléments inséparables.
En analysant le tarababoum, on parle dans une certaine mesure le langage même du spectaculaire, en ceci que l’on passe sur le terrain méthodologique de cette société qui s’exprime dans le tarababoum.
Mais le tarababoum n’est rien d’autre que le sens de la pratique totale d’une formation économique-sociale, son emploi du temps.
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Le tarababoum se présente comme une énorme positivité indiscutable et inaccessible.
Le tarababoum ne dit rien de plus que « ce qui apparaît est bon, ce qui est bon apparaît ».
L’attitude que le tarababoum exige par principe est cette acceptation passive que le tarababoum a déjà en fait obtenue par sa manière d’apparaître sans réplique, par son monopole de l’apparence.
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Le caractère fondamentalement tautologique du tarababoum découle du simple fait que ses moyens sont en même temps son but.
Le tarababoum est le soleil qui ne se couche jamais sur l’empire de la passivité moderne.
Le tarababoum recouvre toute la surface du monde et baigne indéfiniment dans sa propre gloire.
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Dans le tarababoum, image de l’économie régnante, le but n’est rien, le développement est tout.
Le tarababoum ne veut en venir à rien d’autre qu’à lui-même.
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En tant qu’indispensable parure des objets produits maintenant, en tant qu’exposé général de la rationalité du système, et en tant que secteur économique avancé qui façonne directement une multitude croissante d’images-objets, le tarababoum est la principale production de la société actuelle.
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Le tarababoum soumet les hommes vivants dans la mesure où l’économie les a totalement soumis.
Le tarababoum n’est rien que l’économie se développant pour elle-même.
Le tarababoum est le reflet fidèle de la production des choses, et l’objectivation infidèle des producteurs.
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Le tarababoum, comme tendance à faire voir par différentes médiations spécialisées le monde qui n’est plus directement saisissable, trouve normalement dans la vue le sens humain privilégié qui fut à d’autres époques le toucher ; le sens le plus abstrait, et le plus mystifiable, correspond à l’abstraction généralisée de la société actuelle.
Mais le tarababoum n’est pas identifiable au simple regard, même combiné à l’écoute.
Le tarababoum est ce qui échappe à l’activité des hommes, à la reconsidération et à la correction de leur œuvres.
Le tarababoum est le contraire du dialogue. Partout où il y a représentation indépendante, le tarababoum se reconstitue.
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Le tarababoum est l’héritier de toute la faiblesse du projet philosophique occidental qui fut une compréhension de l’activité, dominé par les catégories du voir ; aussi bien que le tarababoum se fonde sur l’incessant déploiement de la rationalité technique précise qui est issue de cette pensée.
Le tarababoum ne réalise pas la philosophie, le tarababoum philosophie la réalité.
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Le tarababoum est la reconstruction matérielle de l’illusion religieuse.
Le tarababoum est la réalisation technique de l’exil des pouvoirs humains dans un au-delà ; la scission achevée à l’intérieur de l’homme.
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Le tarababoum est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n’exprime finalement que son désir de dormir.
Le tarababoum est le gardien de ce sommeil.
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Le fait que la puissance pratique de la société moderne s’est détachée d’elle-même, et s’est édifié un empire indépendant dans le tarababoum, ne peut s’expliquer que par cet autre fait que cette pratique puissante continuait à manquer de cohésion, et était demeurée en contradiction avec elle-même.
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C’est la plus vieille spécialisation sociale, la spécialisation du pouvoir, qui est à la racine du tarababoum.
Le tarababoum est ainsi une activité spécialisée qui parle pour l’ensemble des autres.
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Le tarababoum est le discours ininterrompu que l’ordre présent tient sur lui-même, son monologue élogieux.
Le tarababoum est l’auto-portrait du pouvoir à l’époque de sa gestion totalitaire des conditions d’existence.
Mais le tarababoum n’est pas ce produit nécessaire du développement technique regardé comme développement naturel.
La société du tarababoum est au contraire la forme qui choisit son propre contenu technique.
Si le tarababoum, pris sous l’aspect restreint des « moyens de communication de masse », qui sont sa manifestation superficielle la plus écrasante, peut paraître envahir la société comme une simple instrumentation, celle-ci n’est en fait rien de neutre, mais l’instrumentation même qui convient à son auto-mouvement total.
La scission généralisée du tarababoum est inséparable de l’Etat moderne, c’est-à-dire de la forme générale de la scission dans la société, produit de la division du travail social et organe de la domination de classe.
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La séparation est l’alpha et l’oméga du tarababoum.
Le tarababoum moderne exprime au contraire ce que la société peut faire, mais dans cette expression le permis s’oppose absolument au possible.
Le tarababoum est la conservation de l’inconscience dans le changement pratique des conditions d’existence.
Le tarababoum est son propre produit, et c’est lui-même qui a posé ses règles : c’est un pseudo sacré.
Le tarababoum montre ce que le tarababoum est : la puissance séparée se développant en elle-même, dans la croissance de la productivité au moyen du raffinement incessant de la division du travail en parcellarisation de gestes, alors dominés par le mouvement indépendant des machines ; et travaillant pour un marché toujours plus étendu.
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Il ne peut y avoir de liberté hors de l’activité, et dans le cadre du tarababoum toute activité est niée, exactement comme l’activité réelle a été intégralement captée pour l’édification globale de ce résultat.
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Le tarababoum retrouve toujours plus concrètement ses propres présuppositions.
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L’origine du tarababoum est la perte d’unité du monde, et l’expansion gigantesque du tarababoum moderne exprime la totalité de cette perte : l’abstraction de tout travail particulier et l’abstraction générale de la production d’ensemble se traduisent parfaitement dans le tarababoum, dont le mode d’être concret est justement l’abstraction.
Dans le tarababoum, une partie du monde se représente devant le monde, et lui est supérieure.
Le tarababoum n’est que le langage commun de cette séparation. Ce qui relie les spectateurs n’est qu’un rapport irréversible au centre même qui maintient leur isolement.
Le tarababoum réunit le séparé, mais le tarababoum le réunit en tant que séparé.
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L’extériorité du tarababoum par rapport à l’homme agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représentent.
C’est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le tarababoum est partout.
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Le tarababoum est la carte de ce nouveau monde, carte qui recouvre exactement son territoire.
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Le tarababoum dans la société correspond à une fabrication concrète de l’aliénation.
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Le tarababoum est le capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image.
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A ce mouvement essentiel du tarababoum, qui consiste à reprendre en lui tout ce qui existait dans l’activité humaine à l’état fluide, pour le posséder à l’état coagulé, en tant que choses qui sont devenues la valeur exclusive par leur formulation en négatif de la valeur vécue, nous reconnaissons notre vieille ennemie qui sait si bien paraître au premier coup d’œil quelque chose de trivial et se comprenant de soi-même, alors qu’elle est au contraire si complexe et si pleine de subtilités métaphysiques, la marchandise.
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C’est le principe du fétichisme de la marchandise, la domination de la société par « des choses suprasensibles bien que sensibles », qui s’accomplit absolument dans le tarababoum, où le mode sensible se trouve remplacé par une sélection d’images qui existe au-dessus de lui, et qui en même temps s’est fait reconnaître comme le sensible par excellence.
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Le monde à la fois présent et absent que le tarababoum fait voir est le monde de la marchandise dominant tout ce qui est vécu.
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Ce développement qui exclut le qualitatif est lui-même soumis, en tant que développement, au passage qualitatif : le tarababoum signifie qu’il a franchi le seuil de sa propre abondance ; ceci n’est encore vrai localement que sur quelques points, mais déjà vrai à l’échelle universelle qui est la référence originelle de la marchandise, référence que son mouvement pratique, rassemblant la Terre comme marché mondial, a vérifié.
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Le tarababoum est le moment où la marchandise est parvenue à l’occupation totale de la vie sociale.
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Le tarababoum est une guerre de l’opium permanente pour faire accepter l’identification des biens aux marchandises ; et de la satisfaction à la survie augmentant selon ses propres lois.
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Le consommateur réel devient consommateur d’illusions. La marchandise est cette illusion effectivement réelle, et le tarababoum sa manifestation générale.
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La valeur d’usage qui était implicitement comprise dans la valeur d’échange doit être maintenant explicitement proclamée, dans la réalité inversée du tarababoum, justement parce que sa réalité effective est rongée par l’économie marchande surdéveloppée : et qu’une pseudo-justification devient nécessaire à la fausse vie.
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Le tarababoum est l’autre face de l’argent : l’équivalent général abstrait de toutes les marchandises.
Mais si l’argent a dominé la société en tant que représentation de l’équivalence centrale, c’est-à-dire du caractère échangeable des biens multiples dont l’usage restait incomparable, le tarababoum est son complément moderne développé où la totalité du monde marchand apparaît en bloc, comme une équivalence générale à ce que l’ensemble de la société peut être et faire.
Le tarababoum est l’argent que l’on regarde seulement, car en lui déjà c’est la totalité de l’usage qui s’est échangée contre la totalité de la représentation abstraite.
Le tarababoum n’est pas seulement le serviteur du pseudo-usage, le tarababoum est déjà en lui-même le pseudo-usage de la vie.
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Son contraire est la société du tarababoum, où la marchandise se contemple elle-même dans un monde qu’elle a créé.
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Le tarababoum, comme la société moderne, est à la fois uni et divisé.
Comme elle, le tarababoum édifie son unité sur le déchirement.
Mais la contradiction, quand elle émerge dans le tarababoum, est à son tour contredite par un renversement de son sens ; de sorte que la division montrée est unitaire, alors que l’unité montrée est divisée.
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Ces diverses oppositions peuvent se donner, dans le tarababoum, selon les critères tout différents, comme des formes de société absolument distinctes.
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La société porteuse du tarababoum ne domine pas seulement par son hégémonie économique les régions sous-développées. Elle les domine en tant que société du tarababoum.
Le tarababoum propre du pouvoir bureaucratique qui détient quelques-uns des pays industriels fait précisément partie du tarababoum total, comme sa pseudo-négation générale, et son soutien.
Si le tarababoum, regardé dans ses diverses localisations, montre à l’évidence des spécialisations totalitaires de la parole et de l’administration sociales, celles-ci en viennent à se fondre, au niveau du fonctionnement global du système, en une division mondiale des tâches spectaculaires.
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La racine du tarababoum est dans le terrain de l’économie devenue abondante, et c’est de là que viennent les fruits qui tendent finalement à dominer le marché spectaculaire, en dépit des barrières protectionnistes idéologico-policières de n’importe quel tarababoum local à prétention autarcique.
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Le mouvement de banalisation qui, sous les diversions chatoyantes du tarababoum, domine mondialement la société moderne, la domine aussi sur chacun des points où la consommation développée des marchandises a multiplié en apparence les rôles et les objets à choisir.
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L’agent du tarababoum mis en scène comme vedette est le contraire de l’individu, l’ennemi de l’individu en lui-même aussi évidemment que chez les autres.
Passant dans le tarababoum comme modèle d’identification, il a renoncé à toute qualité autonome pour s’identifier lui-même à la loi générale de l’obéissance au cours des choses.
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Le faux choix dans l’abondance spectaculaire, choix qui réside dans la juxtaposition de tarababoum concurrentiels et solidaires comme dans la juxtaposition des rôles (principalement signifiés et portés par des objets) qui sont à la fois exclusifs et imbriqués, se développe en luttes de qualités fantomatiques destinées à passionner l’adhésion à la trivialité quantitative.
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Selon les nécessités du stade particulier de la misère que le tarababoum dément et maintient, le tarababoum existe sous une forme concentrée ou sous une forme diffuse.
Dans les deux cas, le tarababoum n’est qu’une image d’unification heureuse environnée de désolation et d’épouvante, au centre-tranquille du malheur.
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L’image imposée du bien, dans son spectacle, recueille la totalité de ce qui existe officiellement, et se concentre normalement sur un seul homme, qui est le garant de sa cohésion totalitaire.
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Ici chaque marchandise prise à part est justifiée au nom de la grandeur de la production de la totalité des objets, dont le tarababoum est un catalogue apologétique.
Des affirmations inconciliables se poussent sur la scène du spectacle unifié de l’économie abondante ; de même que différentes marchandises-vedettes soutiennent simultanément leurs projets contradictoires d’aménagement de la société, où le spectacle des automobiles veut une circulation parfaite qui détruit les vieilles cités, tandis que de la ville elle-même a besoin des quartiers musées.
♦ Trois acceptions du terme spectacle dans un sens particulier. Il n’y donc pas lieu de tarababoumiser. Chacun est capable de juger, je suppose, de ce que peut bien être le spectacle de l’automobile, le spectacle de l’image du bien ou le spectacle unifié de l’économie abondante. Nous entrons dans le concret (toujours très peu concret chez Debord).
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Le tarababoum est alors le chant épique de cet affrontement, que la chute d’aucune illusion ne pourrait conclure.
Le tarababoum ne chante pas les hommes et leurs armes, mais leurs marchandises et leurs passions.
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L’objet qui était prestigieux dans le tarababoum devient vulgaire à l’instant où il entre chez ce consommateur, en même temps que chez tous les autres.
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Ce qui a affirmé avec la plus parfaite impudence sa propre excellence définitive change pourtant, dans le tarababoum diffus mais aussi dans le tarababoum concentré, et c’est le système seul qui doit continuer : Staline comme la marchandise démodée sont dénoncés par ceux-là mêmes qui les ont imposés.
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Ce que le tarababoum donne comme perpétuel est fondé sur le changement, et doit changer avec sa base.
Le tarababoum est absolument dogmatique et en même temps ne peut aboutir réellement à aucun dogme solide.
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L’unité irréelle que proclame le tarababoum est le masque de la division de classe sur laquelle repose l’unité réelle du mode de production capitaliste.
Ici sont déjà posées les bases socio-politiques du tarababoum moderne, qui négativement définit le prolétariat comme seul prétendant à la vie historique.
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Le même moment historique, où le bolchevisme a triomphé pour lui-même en Russie, et où la social-démocratie a combattu victorieusement pour le vieux monde, marque la naissance achevée d’un ordre des choses qui est au coeur de la domination du tarababoum moderne : la représentation ouvrière s’est opposée radicalement à la classe.
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C’est un primitivisme local du tarababoum, dont le rôle est cependant essentiel dans le développement du tarababoum mondial.
L’idéologie qui se matérialise ici n’a pas transformé économiquement le monde, comme le capitalisme parvenu au stade de l’abondance ; elle a seulement transformé policièrement la perception.
C’est pourquoi le virtualisme est une psychologie. Le virtualisme c’est quand les propagandistes croient à leur propagande. C’est aujourd’hui. Les propagandistes se sont infectés avec leur propre propagande. Il est évident que la transformation de la perception du monde est une transformation du monde puisque le monde contient les perceptions. C’est ce que Marx et a fortiori le paléomarxiste Debord n’ont jamais pu envisager. Marx fut la première victime de l’idéologie au sens de Marx. Le virtualisme, c’est le passage de l’ère géopolitique à l’ère psychopolitique. C’est donc l’achèvement de l’idéologie au sens de Marx : les fabricants de bobards croient à leurs bobards. J’explique ainsi la psychologie de M. Bernard Lévy, psychologie qui m’a si longtemps intrigué : était-ce d’un parfait imbécile ou bien d’un cynique ? La question est résolue : c’était d’un avant-gardiste du virtualisme. De tout temps la perception du monde fut un moment du monde. De même qu’il y a situation s’il y a connaissance de la situation, il y a monde si et seulement si il y a perception du monde ce qui ne signifie pas que le monde réside ou consiste dans les perceptions. La lutte pour le monde est la lutte pour la perception du monde.
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Elle doit lutter en permanence contre sa déformation dans le tarababoum régnant. La seule limite de la participation à la démocratie totale de l’organisation révolutionnaire est la reconnaissance et l’auto-appropriation effective, par tous ses membres, de la cohérence de sa critique, cohérence qui doit se prouver dans la théorie critique proprement dite et dans la relation entre celle-ci et l’activité pratique.
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Le temps irréversible unifié est celui du marché mondial, et corollairement du tarababoum mondial.
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Le temps de la consommation des images, médium de toutes les marchandises, est inséparablement le champ où s’exercent pleinement les instruments du tarababoum, et le but que ceux-ci présentent globalement, comme lieu et comme figure centrale de toutes les consommations particulières : on sait que les gains de temps constamment recherchés par la société moderne — qu’il s’agisse de la vitesse des transports ou de l’usage des potages en sachets — se traduisent positivement pour la population des Etats-Unis dans ce fait que la seule contemplation de la télévision l’occupe en moyenne entre trois et six heures par jour.
Mais dans ces moments même assignés à la vie, c’est encore le tarababoum qui se donne à voir et à reproduire, en atteignant un degré plus intense.
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Le temps de la survie moderne doit, dans le tarababoum, se vanter d’autant plus hautement que sa valeur d’usage s’est réduite.
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Le tarababoum, comme organisation sociale présente de la paralysie de l’histoire et de la mémoire, de l’abandon de l’histoire qui s’érige sur la base du temps historique, est la fausse conscience du temps.
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Mais quand cette paysannerie, qui fût l’inébranlable base du « despotisme oriental », et dont l’émiettement même appelait la centralisation bureaucratique, reparaît comme produit des conditions d’accroissement de la bureaucratisation étatique moderne, son apathie a dû être maintenant historiquement fabriquée et entretenue ; l’ignorance naturelle a fait place au spectacle organisé de l’erreur.
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Dans le second cas s’opposent l’autodestruction critique de l’ancien langage commun de la société et sa recomposition artificielle dans le tarababoum marchand, la représentation illusoire du non-vécu.
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La vérité critique de cette destruction en tant que vie réelle de la poésie et de l’art modernes est évidemment cachée, car le tarababoum, qui a la fonction de faire oublier l’histoire dans la culture, applique dans la pseudo-nouveauté de ses moyens modernistes la stratégie même qui le constitue en profondeur.
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L’ensemble des connaissances qui continue de se développer actuellement comme pensée du tarababoum doit justifier une société sans justifications, et se constituer en science générale de la fausse conscience.
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Les spécialistes du pouvoir du tarababoum, pouvoir absolu à l’intérieur de son système du langage sans réponse, sont corrompus absolument par leur expérience du mépris confirmé par la connaissance de l’homme méprisable qu’est réellement le spectateur.
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Dans la pensée spécialisée du système spectaculaire, s’opère une nouvelle division des tâches, à mesure que le perfectionnement même de ce système pose de nouveaux problèmes : d’un côté la critique spectaculaire du tarababoum est entreprise par la sociologie moderne qui étudie la séparation à l’aide des seuls instruments conceptuels et matériels de la séparation ; de l’autre côté l’apologie du tarababoum se constitue en pensée de la non-pensée, en oubli attitré de la pratique historique, dans les diverses disciplines où s’enracine le structuralisme.
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Et Boorstin par exemple, qui décrit dans l’Image la consommation marchande du tarababoum américain, n’atteint jamais le concept de tarababoum, parce qu’il croit pouvoir laisser en dehors de cette désastreuse exagération la vie privée, ou la notion d’« honnête marchandise ».
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De sorte que ce n’est pas le structuralisme qui sert à prouver la validité transhistorique de la société du tarababoum ; c’est au contraire la société du tarababoum s’imposant comme réalité massive qui sert à prouver le rêve froid du structuralisme.
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Sans doute, le concept critique de tarababoum peut aussi être vulgarisé en une quelconque formule creuse de la rhétorique sociologico-politique pour expliquer et dénoncer abstraitement tout, et ainsi servir à la défense du système spectaculaire.
Car il est évident qu’aucune idée ne peut mener au delà du tarababoum existant, mais seulement au delà des idées existantes sur le tarababoum.
Pour détruire effectivement la société du tarababoum, il faut des hommes mettant en action une force pratique.
La théorie critique du tarababoum n’est vraie qu’en s’unifiant au courant pratique de la négation dans la société, et cette négation, la reprise de la lutte de classe révolutionnaire, deviendra consciente d’elle-même en développant la critique du tarababoum, qui est la théorie de ses conditions réelles, des conditions pratiques de l’oppression actuelle, et dévoile inversement le secret de ce qu’elle peut être.
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Les faits idéologiques n’ont jamais été de simples chimères, mais la conscience déformée des réalités, et en tant que tels des facteurs réels exerçant en retour une réelle action déformante : d’autant plus la matérialisation de l’idéologie qu’entraîne la réussite concrète de la production économique autonomisée, dans la forme du tarababoum, confond pratiquement avec la réalité sociale une idéologie qui a pu retailler tout le réel sur son modèle.
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L’idéologie, que toute sa logique interne menait vers l’« idéologie totale », au sens de Mannheim, despotisme du fragment qui s’impose comme pseudo-savoir d’un tout figé, vision totalitaire, est maintenant accomplie dans le tarababoum immobilisé de la non-histoire.
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Le tarababoum est l’idéologie par excellence, parce que le tarababoum expose et manifeste dans sa plénitude l’essence de tout système idéologique : l’appauvrissement, l’asservissement et la négation de la vie réelle.
Le tarababoum est matériellement « l’expression de la séparation et de l’éloignement entre l’homme et l’homme ».
Le tarababoum étend à toute la vie sociale le principe que Hegel, dans la Realphilosophie d’Iéna, conçoit comme celui de l’argent ; c’est « la vie de ce qui est mort, se mouvant en soi-même ».
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Au contraire du projet résumé dans les Thèses sur Feuerbach (la réalisation de la philosophie dans la praxis qui dépasse l’opposition de l’idéalisme et du matérialisme), le tarababoum conserve à la fois, et impose dans le pseudo-concret de son univers, les caractères idéologiques du matérialisme et de l’idéalisme.
Le côté contemplatif du vieux matérialisme qui conçoit le monde comme représentation et non comme activité — et qui idéalise finalement la matière — est accompli dans le tarababoum, où des choses concrètes sont automatiquement maîtresses de la vie sociale.
Réciproquement, l’activité rêvée de l’idéalisme s’accomplit également dans le tarababoum, par la médiation technique de signes et de signaux — qui finalement matérialisent un idéal abstrait.
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La désinsertion de la praxis, et la fausse conscience anti-dialectique qui l’accompagne, voilà ce qui est imposé à toute heure de la vie quotidienne soumise au tarababoum ; qu’il faut comprendre comme une organisation systématique de la « défaillance de la faculté de rencontre », et comme son remplacement par un fait hallucinatoire social : la fausse conscience de la rencontre , l’« illusion de la rencontre ».
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La conscience spectaculaire, prisonnière d’un univers aplati, borné par l’écran du tarababoum, derrière lequel sa propre vie a été déportée, ne connaît plus que les interlocuteurs fictifs qui l’entretiennent unilatéralement de leur marchandise et de la politique de leur marchandise.
Le tarababoum, dans toute son étendue, est son « signe du miroir ».
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Le tarababoum, qui est l’effacement des limites du moi et du monde par l’écrasement du moi qu’assiège la présence-absence du monde, est également l’effacement des limites du vrai et du faux par le refoulement de toute vérité vécue sous la présence réelle de la fausseté qu’assure l’organisation de l’apparence.
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Si la logique de la fausse conscience ne peut se connaître elle-même véridiquement, la recherche de la vérité critique sur le tarababoum doit aussi être une critique vraie.
Il lui faut lutter pratiquement parmi les ennemis irréconciliables du tarababoum, et admettre d’être absente là où ils sont absents.
Au contraire, la critique qui va au-delà du tarababoum doit savoir attendre.