04/27/2022
Jimmy Perron
Je suis né à L’Isle-aux-Coudres, dans Charlevoix. Je me souviens, vers mes huit ans, des dessins que j’exécutais dans l’entrepôt de l’épicerie Perron, celle de mon père. Il y avait une grande baie vitrée au deuxième étage et l’on pouvait apercevoir deux goélettes échouées : la Coopérative Console et la Lévisienne. Sur la grève, je regardais les peintres qui venaient y planter leur chevalet. Fasciné, je savais à cet âge que je voulais consacrer ma vie à ça. Mais il y avait davantage que le dessin. Tout l’univers de la peinture me semblait alors sans fin.
Derrière chez nous, dans notre maison à quelques milles dans l’anse de L’Islet, encore une goélette échouée, le G Montcalm. Sa carcasse se tordait de plus en plus chaque année. Elle est devenue mon premier sujet. J’aimais le fait qu’elle était en ruines, c’était esthétiquement plus intéressant que toutes les autres goélettes encore bien droites. Avec mes amis, on montait dans la wheel house éventrée. On aurait dit que l’embarcation était toujours vivante et habitée.
Est apparu un jour, à l’épicerie familiale, un monsieur spécial au dos voûté et aux épais sourcils, avec un accent un peu drôle : « Avez-vous reçu vos olives noires ? » C’était Jean-Paul Lemieux, qu’on me disait, un célèbre peintre qui, comme les goélettes venues s’échouer sur l’île, avait décidé d’y passer les vingt dernières années de sa vie. Mon oncle Daniel travaillait chez lui comme homme à tout faire. Il possédait certaines de ses œuvres qui n’étaient pas signées, que Lemieux allait jeter de toute manière. Et des livres de lui ! Il nous sortait ça lorsque nous allions le visiter. J’étais captivé par ce personnage.
Je dirais que je suis peintre depuis l’âge de vingt-quatre ans. Aujourd’hui, je ne peux toujours pas dire si je suis un peintre de paysage, expressionniste, abstrait… C’est encore difficile pour moi de définir mon style et de me catégoriser. Une chose est certaine, je ne passerai jamais à côté de ce qui se trouve devant moi : l’intégrité du territoire et sa force vive, vraie.
On voit maintenant des tableaux numériques, peints par un logiciel vendu aux grandes enchères. À l’université, en arts, les claviers et les écrans remplacent de plus en plus le travail manuel, les mains salies de plâtre et de couleurs. C’est désolant. Pour ma part, c’est dans la nature, dans la franchise de s’y plonger avec son esprit et tout son corps, qu’émerge le geste créateur.
Frederick Ouellet et Pierre Bouchard, mes amis peintres, m’ont invité à me joindre à eux pour suivre les traces de Marc-Aurèle. Admirant son travail tout comme eux, j’ai eu envie de découvrir les similitudes et les mêmes scènes qui l’ont un jour interpellé : Baie-Saint-Paul, L’Île d’Orléans, le port de Montréal, le Saguenay… On est passés par là. Plus qu’un voyage inspiré d’une trace, il s’agit d’un hommage à un grand artiste, à la beauté de la nature et des paysages, et au fantastique qui s’y révèle. J’ai toujours trouvé le dessin de Marc-Aurèle puissant, tout comme sa peinture qui traduit l’aspect primitif d’un être épris de la beauté, d’un artiste qui a fait de son art le centre de son existence.