03/19/2024
(14 mars)
Je l’ai.
Je l’ai!
Je l’ai?
Plusieurs me diront que je l’avais déjà, mon histoire: J’étais sorti de mon pays, pour aller chercher un conte, sans savoir si on me le donnerait. Plusieurs personnes rencontrées sur ma route m’ont dit qu’en soi, c’était déjà une histoire incroyable. Ils portaient mon voyage sur quelques kilomètres ou le temps d’une nuit, prenant part à cette aventure et se faisant emporter par elle.
Ce soir, je suis sur mon ‘’retour’’, je fais un stop dans une famille qui m’a déjà reçu il y a quelques jours, et leur première question, à chaque membre de la famille en me voyant: ‘’Et puis, l'as-tu?’’ Je les entends comme j’entendais Robins Williams dire ‘’I believe in fairies’’ dans Hook, mais j’sais pas trop s’ils ont la référence…
Une qui me dit que depuis deux jours, ses collègues de bureau lui demandent si elle a eu des nouvelles, si son conteur a trouvé son histoire. Un autre qui m’écrit un texto pour avoir la primeur sans délais, une autre qui écrit ‘’et alors?’’, une question qui, dans le contexte, est sans équivoque. Ils veulent savoir. Pas l’histoire, mais juste si je l’ai. Simplement. Merveilleusement.
J’ai trouvé mes conteurs. Armelle et Peppo. J’ai frappé à la porte de leur grotte, celle au fond de laquelle j'espérais entendre qu’il était une fois. On s’est regardé l’air gêné sans trop savoir par quel boutte prendre ça: trois jours de lousse pour se conter une histoire. Ça va faire beaucoup de silences!
On s’est apprivoisés doucement. On s’est promenés un brin. La Brenne: Ils m’ont montré les étangs formés par le passage d’un géant, Gargantua,puis les buttons laissés par la terre tombant de sous ses bottes. On a mangé, comme des rois. Puis le lendemain on a recommencé. On s’était apprivoisés, doucement. Ils sont de ceux qui savent donner, ils connaissent le voyage.
Alors après dîner (déjeuner, qu’ils disent. Moi j’oublie toujours), on s’est mis à table. Un théâtre à 4 chaises, au beau milieu de la cuisine. De même! Le chat dormait au ras le poêle, le lave-vaisselle ronronnait.
-Bon.
-Bon.
-Alors j’vous cacherai pas que ce voyage avait comme but principal de vous demander votre conte. Mais sentez vous bien à l’aise de dire non, y’a mille et une bonnes raisons de dire non!
Ils se sourient puis elle lui fait signe de la tête, il a pris son accordéon. Dans la cuisine, comme un vieux théâtre auquel on redonne vie. Le rideau se ferme autour de nous alors que s’élevent les premières notes. Que tombent les premiers mots. L’émotion monte, j’peux pas m’empêcher; c’est que je connais la fin!
Alors qu'il étire et referme son accordéon, Peppo a le regard perdu au loin, il est déjà là-bas.
J'ai le goût de me faire porter, mais en même temps, j’suis là pour l’apprendre, alors j’écoute sans écouter. Je note les images dans ma tête, en résistant tant que je peux au voyage. Écouter avec ma tête, seulement. Mais l’accordéon tire fort. Les mains de la conteuse se lèvent au-dessus de la table, pour faire courir les marionnettes invisibles. Crac! La table fend en deux, tout bascule dans le monde d’en-dessous, p*s l’accordéon qui nous enfonce dedans. Un gouffre au milieu de la pièce, plus profond que les empreintes de pas de Gargantua. Les personnages qui courent dans l’herbe longue. Ne pas perdre leur trace, pour être capable de faire le chemin à l’envers, pour être capable de la raconter moi aussi. Des passages, desquels je me souvenais, que je savoure, et d’autres que j’avais oublié, que je note mentalement. Mes deux mois d'attentes en ébullition; les gens rencontrés sur la route, qui nous regardent par la fenêtre; le poil de mes bras qui me fait mal, à veille de se déraciner tellement y'a la chair de poule. P*s la fin, qui ne me rate pas. La fin, qui me beurre épais! Comme quand je l’avais entendue la première fois au Québec. Comme quand j'avais entendu la plus belle histoire qu'on ne m'avait jamais raconté.
Les mains réapparaissent au-dessus des personnages qui s'évaporent. Puis l’accordéon, doucement nous dépose sur nos chaises, referme la table, retire le rideau. Le chat réapparaît, au raz le poêle, s’étire un brin en nous regardant de loin, de haut. Lui, y’en a rien à battre des conteurs qui se racontent des histoires. C’est bien le seul.
On laisse flotter un silence. Le bruit de l’accordéon que Peppo redépose sur la table.
-Bon.
-Bon.
…
Deux jours plus t**d, je reprends ma route et eux, la leur. Les chances sont minces qu’elles ne se recroisent pas; on dit que la terre est peut-être ronde.
Sur le bord du chemin j’ai prononcé les mots:
Je l’ai.
Je l’ai!
Je l’ai?
J'la sais, mais j'la sais pas. C’est bizarre. J’connais le chemin, mais j’sais pas comment le marcher. Je ne pourrai pas la dire tout suite. J'ai l'impression qu'il me faut réapprendre à conter. Me reste encore un mois pour finir ce voyage. On va s’apprivoiser doucement.
La suite a des allures de retour. Mon pouce dans les airs, j'ouvre des portières, je referme des portières. Je note des adresses, au cas où, ou bien pour la prochaine fois. Après quatre heure de route, je recommence à voir des drapeaux bretons partout. Je peux ranger mes lunettes soleil.