08/11/2023
Vouloir en finir avec la biodynamie ? Frédéric Mugnier, quelle idée dépassée ! Par Jacky Rigaux Publié le 05/11/2023 à 13:00
"Tribune de Jacky Rigaux, Professeur de l’Université de Bourgogne, responsable du secteur “Vigne, Vin, Terroirs” où il initia plusieurs diplômes d’université, il a soutenu Jean-Michel Deiss pour créer le diplôme “Vers le terroir viticole par la dégustation géo-sensorielle” à l’université de Strasbourg. Jacky Rigaux est l’auteur d’une vingtaine de livres et anime les “Journées Henri Jayer” à Vosne-Romanée.
Fameux vigneron de la Côte de Nuits, Frédéric Mugnier déclare haut et fort vouloir en finir avec la biodynamie.
Il regrette qu’aux yeux du public ne subsiste que deux catégories de vignerons : les biodynamistes et les empoisonneurs ou, « pour être gentil, les vignerons sans conscience environnementale et sans sensibilité à la nature ».
Si Mugnier assure « pouvoir aisément montrer qu’il n’appartient pas à la deuxième catégorie », il entend expliquer pourquoi il n’est pas attiré par la première. D’où son article qui, je crois, mérite une critique.
Pourquoi ne pas ouvrir d’autres voies sans jeter un discrédit sur une biodynamie renvoyée à des pratiques ésotériques, à un obscurantisme ? Pourquoi disqualifier des pratiques qui participent, à leur manière, à la réactivation de la biodiversité dans nos campagnes ?
La biodynamie a contribué à ouvrir un autre âge à l’agriculture, celui d’une agrologie contestant une agronomie dominante, asservie à une industrie agroalimentaire pourvoyeuse de produits chimiques de synthèse qui considérait le sol comme un simple support de plante.
Rudolf Steiner, le premier, alerta, au début du XXe siècle, comme le fera René Dumont (agronome, il est l’un des fondateurs de l’écologie politique en France, ndlr) dans les années 1960.
Il jugeait la vie dans les sols menacée par la généralisation des engrais chimiques, herbicides, pesticides, acaricides et autres fongicides…
Outre une résistance à une viticulture productiviste, les pratiques biodynamiques en viticulture remettent en question la production de vins de plus en plus arrangés par les techniques et les produits, imposant une typicité à la place d’une originalité.
Que cherchent les agriculteurs et viticulteurs biodynamistes ? À mobiliser de façon ouverte et contrôlée, au bénéfice de la Nature, des forces qu’on ne crée pas, mais que l’on reconnaît être à l’œuvre autour de nous.
Tous jugent que l’impact réorganisateur des fonctionnements naturels par les “préparats”, tisanes et composts, est probant et visible sur la plante qui retrouve par leur médiation ses fonctionnements naturels.
Aux côtés des précurseurs François Bouchet et Pierre Masson, les vignerons biodynamistes ont fait appel à des spécialistes de la microbiologie des sols, comme Claude Bourguignon ou Dominique Massenot, ou encore à des bio-géologues comme Yves Hérody. Tous reposent la question de l’origine de la vie.
Alors, biologie contre chimie ? Les choses sont plus complexes. Il convient de repartir de Claude Bernard (fondateur de la médecine expérimentale, ndlr) : le vivant n’existe que par les échanges avec l’environnement. Or, c’est la vision biochimique de Louis Pasteur, cartésienne, qui s’est imposée dans notre monde technologique, recherchant et inventoriant les éléments constitutifs du vivant, dont ceux jugés nocifs ou dangereux qu’il convient d’éradiquer.
À l’inverse, Steiner affirme la multi-dimensionnalité du réel, la pluralité des “natures” avec lesquelles il convient de composer. Comme aime à dire Jean-Michel Deiss : « La biodynamie a permis de réhabiliter la relation poétique, sensible et apprenante entre le vigneron et sa vigne. Elle met en œuvre l’interrogation intime, le doute respectueux qui seul permet de ressentir, plutôt que de comprendre, ce dont elle a besoin, comment la servir ».
Olivier Humbrecht, ingénieur agronome, œnologue, MW et vigneron biodynamiste, le dit plus simplement : « Dans la mesure où personne ne sait expliquer ce qui a créé le vivant sur terre sans utiliser la religion, je pense que la biodynamie a le droit d’exister sur la simple constatation des résultats obtenus ».
Bien sûr, la biodynamie n’est pas l’ennemie du pragmatisme. Ted Lemon, chef de file de la biodynamie en Californie, nous le dit. « Les méthodes biodynamiques viennent accompagner les bonnes pratiques physiques de l’agriculture. Bien des pratiquants de la biodynamie perdent de vue cet aspect essentiel de la biodynamie et tombent dans une vague rêverie aussi peu fructifère que les méthodes industrielles.
L’agriculture industrielle, quant à elle, malgré ses tentatives répétées, n’a jamais pu contrarier l’importance de ces mesures traditionnelles. Bien au contraire, la dégradation constante du paysage et des terres agricoles témoigne de l’échec des méthodes de l’agriculture industrielle. "
A paraître dans La R***e du vin de France
Voici l'édito de Frédéric Mugnier :
http://mugnier.fr/wp-content/uploads/2022/11/Pour_en_finir_avec_v3-1.pdf
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