13/11/2021
« La question pas si bête : pourquoi les routes sont gratuites en Bretagne ?
Les autoroutes et quatre voies en Bretagne sont gratuites. Une fierté pour les Bretons. Mais d'où cela vient ? C'est le fruit de plusieurs événements historiques et structurels.
C’est un privilège unique en France : les autoroutes et quatre voies de Bretagne sont gratuites. Et ce… depuis toujours. Mais pourquoi ? Les explications sont multiples et sont le fruit de l’Histoire de la région armoricaine.
Grâce à Anne de Bretagne ?
La Bretagne a eu un traitement particulier sur la question de la taxation des routes. Un privilège préservé lors du rattachement à la France ?
En 1491, le roi Charles VIII envahit le duché indépendant de Bretagne et épouse la duchesse Anne de Bretagne. Le contrat de mariage indique qu’il est conclu « pour assurer la paix entre le duché de Bretagne et le royaume de France. » Elle aurait alors demandé de garder la gratuité de circulation en Bretagne. Difficile de savoir, car le contrat de mariage et les édits ne le notifient pas.
La légende revient dans les années 1970
Dans les années 1970, un plan routier breton promis par le général de Gaulle voit le jour avec un réseau routier gratuit à quatre voies limité à 110 km/h. L’argument « Anne de Bretagne » refait surface.
L’historien et élu de Vannes (Morbihan) François Ars nous évoque la « petite histoire tenace » entendue dans les milieux proches de Raymond Marcellin alors Ministre de l’Intérieur :
Raymond Marcellin, lorsque l'on a mis en place les voies express dans les années 1970, a ressorti l'argument historique : Anne de Bretagne avait réussi au moment du rattachement de la Bretagne à la France à conserver les privilèges de la Bretagne. Entre autres, on ne payait pas d'octroi (de péages) sur les routes. Ce serait bien qu'avec le nouveau réseau à venir, il n'y en ait pas non plus défend Marcellin.
François Ars
La Révolution française supprime pourtant les privilèges
Il ne faut pas non plus être dupe comme le pense François Ars : « Raymond Marcellin oublia volontairement de dire que la Révolution française avait fait disparaître les privilèges, y compris ceux de la Bretagne. La nuit du 4 août 1789, c’est la fin des privilèges de la noblesse, mais aussi de toutes les provinces dont la Bretagne (moins d’impositions entre autres) ».
Les mauvaises langues ont même dit : d'accord, ce ne seront pas des autoroutes payantes mais des voies express. Vous roulerez à 110 km/h !
François Ars
Est-ce une continuité historique d’Anne de Bretagne ? « Je ne pense pas. Il ne faut pas exagérer, répond François Ars. On a créé un mythe de la gratuité des routes en Bretagne qui pourrait être basé en partie des anciens privilèges à la suite du rattachement. Les bonnets rouges ont repris ces arguments récemment avec les portiques éco-taxes ».
Le cas de l’A84 : impossible de la rendre payante
En Bretagne, on trouve de nombreuses quatre voies limitées à 110 km/h. Mais aussi une autoroute, l’A84, limitée à 130 km/h. Cette dernière débute au nord de Rennes et file jusqu’aux Portes du Coglais pour sa portion bretonne.
Rassurez-vous, elle ne peut pas devenir payante. En effet, une autoroute peut devenir payante si un itinéraire parallèle gratuit est possible. Or, ce n’est pas le cas sur le tronçon. La question ne se pose pas de la rendre payante.
Le réseau routier breton en chiffres
Autoroutes : 50 km
Routes nationales : 1 009 km
Routes départementales : 16 829 km
Voies communales : 55 294 km
Densité du réseau routier (en km linéaires/km²) : 2,69 (le 2e en France derrière l'Ile-de-France et devant la Normandie)
Source : Service de la Donnée et des Etudes Statistiques - 2019
Pas de taxe, car la Bretagne était alors en re**rd économiquement ?
Pour l’historien François Ars, on est plus dans le vrai sur l’argument économique. « Au XIXe siècle, il y avait des octrois pour faire rentrer les marchandises dans les villes. Mais pas sur les routes entre les villes en Bretagne », rappelle-t-il.
Faisons un bond dans le temps vers le XXe siècle pour aller au début de la Ve République. « La Bretagne est alors loin du cœur économique de la Communauté économique européenne (CEE) : « On ne voulait pas alourdir la facture des marchandises par un surcout lié au transport de part l’éloignement de la Bretagne », relate François Ars. Un argument de plus pour laisser les routes gratuites.
De plus, les députés bretons défendaient d’une voix la région. « On était à une époque où tous les députés bretons (à l’exception de quelques communistes) s’entendaient pour défendre la Bretagne à travers le Comité d’étude et de liaison des intérêts bretons (CELIB) ». Les députés ont fait bloc notamment sur la question de la gratuité des routes.
C’est donc un privilège qui risque de durer. Et puis, les Bretons y sont très attachés et le feraient savoir si on y touchait. »
Source :
Les autoroutes et quatre voies en Bretagne sont gratuites. Une fierté pour les Bretons. Mais d'où cela vient ? C'est le fruit de plusieurs événements historiques et structurels.