Initiée par la Mairie de Toulouse, la Saison Moondog revisite l’oeuvre de ce compositeur américain aussi hors du temps que d’une incroyable modernité et comprend quelques créations d’oeuvres jamais entendues jusqu’ici.
Connue pour la fécondité et l’effervescence de ses différentes scènes musicales, Toulouse, métropole des réussites, y compris culturelles, était toute désignée pour associer la diversité de ses talents à ces interprétations et ces variations.
Ouverte par le festival Piano aux Jacobins en septembre, cette Saison Moondog connaîtra son apothéose avec l’Orchestre national du Capitole de Toulouse en juin. Entre temps, le Théâtre du Capitole, le Metronum, le Théâtre Garonne, l’Auditorium Saint-Pierre des Cuisines, l’Escale, le musée des Augustins, la salle Nougaro, Le Conservatoire, la Cave-Poésie, la Cinémathèque, l’Usine, l’IsdaT, la Saison Bleue, le centre culturel Bellegarde, la médiathèque José-Cabanis et la Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine s’y associeront. Les festivals Toulouse les Orgues et Passe ton Bach d’abord se joindront au canon. Un peu plus loin, la Scène Nationale d’Albi, l’Astrada de Marciac et la Maison Salvan de Labège joueront leurs parties. Cet hommage au compositeur légendaire du XXe siècle réunit avec unanimité les forces vives des musiques toulousaines. Une découverte pour les curieux, une consécration pour les mélomanes.
Né le 26 mai 1916 à Marysville, dans le Kansas et mort le 8 septembre 1999 à Münster en Allemagne, Louis Thomas Hardin alias Moondog est le fils d’un pasteur et d’une organiste. Durant son enfance, l’initiation au rythme de la danse du soleil par un chef traditionnel indien détermine son existence. Celle-ci bascule dans sa seizième année lorsqu’un explosif lui ôte définitivement la vue. Dans des écoles pour aveugles, il apprend la musique, pratique différents instruments, se forge une oreille absolue puis, sous la houlette d’un professeur de musique de Memphis, il s’oppose à la musique moderne et proclame son amour pour la musique classique européenne.
En 1943, il s’installe seul à New York avec 60 dollars en poche et la ferme intention de devenir compositeur. On l’y compare au Christ car il passe jours et nuits sous des porches, la barbe et le cheveu longs, habillé d’une robe de bure, une flèche indienne pendue à son cou. Assistant aux répétitions de l’Orchestre Philharmonique de New York au Carnegie Hall, il se lie d’amitié avec Artur Rodzinski et Leonard Bernstein. Ses partitions signées de son surnom donnent lieu à de premiers disques dans les années 50 et lui valent l’admiration de la scène jazz. Andy Warhol conçoit la pochette d’un de ses albums, Philip Glass l’héberge quelques mois et l’invite à jouer avec les jeunes compositeurs Steve Reich et Jon Gibson.
En réaction aux comparaisons christiques dont il fait toujours l’objet, il se confectionne un costume d’un viking de couleurs vives et va par les rues coiffé d’un casque à cornes et muni d’une lance médiévale. On le surnomme alors le « Viking de la 6ème Avenue ».
La consécration vient en 1969, lorsque l’Orchestre Philharmonique de New York enregistre certaines de ses partitions sous la direction de Leonard Bernstein. Ces trente minutes de musique propulsent ce clochard céleste vers la renommée. Il continue pourtant de vivre dehors et utilise l’argent gagné pour s’acheter un petit terrain au Nord de New York sur lequel il plante une cabane.
Un ami organiste lui organise une tournée en Allemagne au milieu des années 70. Moondog jubile à l’idée de fouler du pied la terre des grands compositeurs européens qui, Bach en tête, constituent ses modèles depuis toujours. Après deux concerts, il s’installe seul dans ce pays où il ne connaît personne, dont il ne parle pas la langue et où sa musique est peu connue. De jeunes Allemands l’hébergent, le présentent à des musiciens et lui trouvent un label. À la fin des années 70, il aura publié quatre nouveaux albums.
Voyageant en Europe au long de la décennie suivante, il compose des pièces inspirées par la mythologie nordique en Suède, trois symphonies en six semaines à Salzburg et à Vienne (soixante-dix-huit autres suivront jusqu’à sa mort). Lors de leur dixième édition en 1988, les Transmusicales de Rennes l’invitent pour faire jouer sa Symphonie celte. L’année suivante Philip Glass l’invite à revenir à New York pour diriger sa musique orchestrale lors d’un concert triomphal. Tombé malade au début des années 90, Moondog poursuit la composition, conçoit un album joué par ordinateur pour une parfaite interprétation de ses canons et tourne en Europe aux cotés du London Saxophonic avec qui il enregistre ses deux derniers albums. Puis, jusqu’à sa dernière apparition à Arles en 1999, il ne se produira plus qu’accompagné au piano par la française Dominique Ponty. La liste de ses admirateurs s’est allongées au fil du temps : Janis Joplin, Bob Dylan, Allen Ginsberg, Tom Waits, Björk, Jarvis Cocker, Elvis Costello, Robert Wyatt, Damon Albarn, John Zorn, Debbie Harry, Patti Smith, Dominique A, Philippe Katerine, Stephan Eicher, Yann Tiersen et tant d’autres Moondog’s Lovers.
Comment un sans-abri aveugle, coiffé d’un casque de viking et ayant passé vingt ans de sa vie à réciter des poèmes dans les rues de New York, a-t-il pu compter des admirateurs aussi illustres ? Ils ont assurément vu en lui l’architecte d’une oeuvre unique, ayant fait du métissage musical le fer de lance de son travail, sincèrement universel, abolissant les frontières entre les esthétiques, et aussi singulier qu’il est accessible. Hors temps et d’une incroyable modernité, Moondog fascine encore aujourd’hui le monde de la pop, du jazz, de l’électro, de la musique classique et des musiques de demain.