27/10/2024
Fables de la Fontaine / La Fontaine, fables ...
Les deux chèvres, gravure J.B. Oudry, XVIIIe siècle
The two goats, engraving JB Oudry, 18th century
The Two Goats
As soon as the goats have grazed,
A certain spirit of freedom
Makes them seek their fortune: they go on a journey
Towards the places of pasture
The least frequented by humans:
There, if there is a place without roads and paths,
A rock, some mountain hanging in precipices,
It is where these ladies go to wander their whims.
Nothing can stop this climbing animal.
Two goats then freeing themselves,
Both having white paws (1),
Left the low meadows, each from her share.
One towards the other went for some good chance.
A stream meets, and for a bridge a plank.
Two weasels would hardly have passed abreast
On this bridge;
Besides, the rapid wave and the deep stream
Must have made these Amazons tremble with fear.
Despite so many dangers, one of these people
Places a foot on the plank, and the other does the same.
I imagine seeing, with Louis the Great,
Philip the Fourth who advances
On the island of the Conference (2) .
Thus advanced step by step,
Nose to nose, our adventurers,
Who both being very proud,
Towards the middle of the bridge did not want
to yield to each other. They had the glory
Of counting in their race, according to history,
One a certain goat, of peerless merit,
Of which Polyphemus presented to Galatea(3);
And the other the goat Amalthea(4),
By whom Jupiter was nourished.
Failing to retreat, their fall was common.
Both fell into the water.
This accident is not new
In the path of fortune.
This fable appeared in February 1691 in "Le Mercure galant".
The subject served as a Latin theme for the Duke of Burgundy.
LF has profoundly modified a story by Pliny the Elder
(Latin writer, 1st century AD, who perished during the eruption of Vesuvius), in the "Natural Histories" which told the story of two goats meeting
on a narrow bridge, one lying down to let the other pass over its back.
Here, LF substitutes for the story an example of human stupidity.
"He thus indulges in the satire of the squabbles over precedence which, from King Louis XIV [...] down to the least nobles, including the ladies of the
Court, the magistrates and the canons, ardently occupied all the orders of French society."
(M. Fumaroli, La Fontaine, fables)
(1) these are therefore quality goats
(2) the island of Pheasants on the Bidassoa. This is where the conferences for the peace of the Pyrenees were held (link under the title of the page), signed on November 7, 1659 and the marriage of Louis XIV with the Infanta Maria Theresa, celebrated religiously on June 9, 1660 in Saint-Jean-de-Luz.
(3) allusion to the love of the cyclops Polyphemus for the nymph Galatea. LF had made an unfinished opera about it: Galatea
(M. Fumaroli)
(4) when he was hidden in Crete by his mother, the goddess Rhea, to steal him from his father, Saturn (JP Collinet)
Les deux Chèvres
Dès que les chèvres ont brouté,
Certain esprit de liberté
Leur fait chercher fortune : elles vont en voyage
Vers les endroits du pâturage
Les moins fréquentés des humains :
Là, s'il est quelque lieu sans route et sans chemins,
Un rocher, quelque mont pendant en précipices,
C'est où ces dames vont promener leurs caprices.
Rien ne peut arrêter cet animal grimpant.
Deux chèvres donc s'émancipant,
Toutes deux ayant patte blanche (1),
Quittèrent les bas prés, chacune de sa part.
L'une vers l'autre allait pour quelque bon hasard.
Un ruisseau se rencontre, et pour pont une planche.
Deux belettes à peine auraient passé de front
Sur ce pont ;
D'ailleurs, l'onde rapide et le ruisseau profond
Devaient faire trembler de peur ces amazones.
Malgré tant de dangers, l'une de ces personnes
Pose un pied sur la planche, et l'autre en fait autant.
Je m'imagine voir, avec Louis le Grand,
Philippe Quatre qui s'avance
Dans l'île de la Conférence (2).
Ainsi s'avançaient pas à pas,
Nez à nez, nos aventurières,
Qui toutes deux étant fort fières,
Vers le milieu du pont ne se voulurent pas
L'une à l'autre céder. Elles avaient la gloire
De compter dans leur race, à ce que dit l'histoire,
L'une certaine chèvre, au mérite sans pair,
Dont Polyphème fit présent à Galatée(3) ;
Et l'autre la chèvre Amalthée (4),
Par qui fut nourri Jupiter.
Faute de reculer, leur chute fut commune.
Toutes deux tombèrent dans l'eau.
Cet accident n'est pas nouveau
Dans le chemin de la fortune.
Cette fable a paru en février 1691 dans
"Le Mercure galant".
Le sujet a servi de thème latin au duc de Bourgogne.
L.F. a profondément modifié un récit de Pline l'Ancien
(écrivain latin, Ier siècle après J.C., qui périt au cours de l'éruption du Vésuve), dans les "Histoires naturelles" qui racontait l'histoire de deux chèvres se rencontrant
sur un pont étroit, l'une se couchant pour laisser passer l'autre par-dessus son dos.
Ici, L.F. substitue au récit un exemple de la sottise humaine.
"Il se livre ainsi à la satire des chicanières querelles de préséances qui, depuis le roi Louis XIV [...] jusqu'aux moindres gentillâtres, en passant par les dames de la
Cour, les magistrats et les chanoines, occupaient ardemment tous les ordres de la société française."
(M.Fumaroli, La Fontaine, fables)
(1) ce sont donc des chèvres de qualité
(2) l'île des Faisans sur la Bidassoa. C'est là que se tinrent les conférences pour la paix des Pyrénées (lien sous le titre de la page), signée le 7 novembre 1659 et le mariage de Louis XIV avec l'infante Marie-Thérèse, célébré religieusement le 9 juin 1660 à Saint-Jean-de-Luz.
(3) allusion à l'amour du cyclope Polyphème pour la nymphe Galatée. L.F. en avait fait un opéra inachevé : Galatée
(M.Fumaroli)
(4) quand il fut caché en Crète par sa mère, la déesse Rhée, pour le dérober à son père, Saturne (J.P. Collinet)
Courtesy Asociation pour le Musée La Fontaine http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/deuchevre.htm