09/09/2023
Cher parent,
Ce matin, je voulais te parler de Sophie, ou Maëva, ou Juliette. Tu sais, celle que tu appelles "nounou", "tata" ou encore "fille de la crèche" parce qu'en réalité, tu ne sais pas vraiment quel est l'intitulé de son métier, et que, au fond, peu importe non ? Je parle de celle à qui tu confies ton enfant chaque matin pour pouvoir aller travailler.
Tu sais, elle aussi travaille.
Ce matin, elle s'est levée, comme toi.
A géré, ses enfants, comme toi.
Les a déposé dans leur lieu d'accueil, comme toi.
Est restée bloquée dans les bouchons, comme toi.
Et, est là, comme toi.
Sauf qu'elle va y rester.
Parce que, tu sais, elle aussi travaille.
S'occuper de 4, 10, 35 enfants, c'est une sacrée responsabilité, et pourtant elle le fait, chaque jour.
Elle accompagne, observe, sèche les larmes, soigne, éduque, joue, et plus encore, tout en respectant un timing et toutes les autres missions qui lui incombent.
Elle met en pratique sa fiche de poste (et bien plus encore) avec coeur, 8h par jour officiellement, souvent plus.
Parce qu'elle travaille.
Mais as-tu déjà réfléchi au poids qu'elle porte chaque jour en soulevant/reposant les enfants, au bruit auquel elle est soumise, à la vigilance constante dont elle doit faire preuve, à la responsabilité qui pèse sur ses épaules qui n'est pas moins que celle d'accompagner au quotidien les prunelles de vos yeux. D'ailleurs as-tu une idée de son salaire ? Ne cherche pas plus loin, la réponse est : le SMIC ou presque, parfois même pour les éducatrices qui ont un Bac+3.
Et si ce n'était que ça.
Eh oui, les journées ne sont pas forcément remplies de paillettes et de gommettes pour elle, parce que, vois-tu, elle aussi travaille.
Et, de fait, elle aussi doit faire face aux difficultés inhérentes à son cadre de boulot. Le manque de place et de moyen. Les lois qui détériorent les conditions d'accueil et de travail. Certains gestionnaires qui, sous couvert de beaux discours devant vous et d'un beau projet pédagogique, n'espèrent que faire du profit, peu importe si c'est en broyant les convictions et les motivations des professionnels.
Et pourtant, elle est là, parce qu'elle travaille.
Néanmoins, les as tu remarqué ? Les cernes ? Le sourire qui disparaît ? Les arrêts maladies ? L'arrivée de nouvelles professionnelles du jour au lendemain parce que d'autres demissionnent les unes après les autres ?
C'est un signe non ?
Je suis parent, je sais pertinemment que tu as besoin d'un moyen de garde. Évidemment. Mais ne ferme pas les yeux.
Regarde les drames qui ont (eu) lieux dans certaines structures ou dans certains domiciles. Regarde le nombre d'enfants accueillis qui augmente pour toujours moins d'adulte. Regarde la professionnelle que tu vois le matin à 7h30 et encore le soir à 18h cinq fois dans la semaine parce qu'elle doit pallier l'absence de sa collègue en faisant des journées de dingue. Et regarde le prix que tu paies pour tout ça.
S'il-te-plaît cher parent, pense à tout cela lorsque tu déposes ton tout-petit dans son lieu d'accueil, qu'il soit collectif ou individuel.
Observe, questionne et prends soin des adultes qui prennent soin de ton enfant et de toi. C'est important.
Parce que, tu sais, ce milieu est en train de crever.
Vraiment.
Bien-sûr qu'il existe des professionnels qui s'épanouissent, des directions honnêtes qui font leur boulot convenablement sans vous voir comme des portes-feuilles ambulants, mais ça ne compense pas les difficultés présentes.
Tu sais, il y a parfois des grèves de notre part même si elle ne sont pas forcément très suivies parce qu'on a à cœur de ne pas vous mettre de l'embarras. Et tu sais ce que l'État reponds à nos revendications ?
Eh bien, que si les professionnels diplômés ne sont pas contents de leurs conditions de travail, les directions peuvent maintenant embaucher des personnes qui n'ont rien à voir avec le milieu de la petite enfance. Et, autant vous dire que c'est fait, évidemment. Ça coûte moins cher aux employeurs et, dans l'inconscient (ou pas) de certains, ce sont des profils plus dociles, moins revendicateurs. 👌
Imagine à quel point nous avons besoin de toi. Parce que, si toi tu te plains, c'est plus problématique pour les dirigeants.
Nous, on est fatiguées alors on déserte. On se reconvertit. On essaye d'inventer d'autres façons de travailler. Tu sais qu'en Île-de-France par exemple, près de 30 postes sur 1000 n'étaient pas pourvus en 2022. 30 postes sur 1000. Malgré le nombre de professionnels qui sortent des écoles chaque année. Malgré les conditions financières de plus en plus difficiles pour tout à chacun. Malgré le fait qu'on ait choisi ces metiers parce qu'on les aime... Ou, du moins, qu'on les aimait.
Ce n'est pas anodin.
Alors, cher parent, je t'en supplie, prends soin de Sophie, Maëva, Juliette et toutes les autres. Prends soin de celles et ceux, femmes et hommes, qui prennent soin au quotidien des enfants et de leurs parents.
Sans ça, je n'ose pas imaginer à quoi ressembleront les modes d'accueil dans quelques années...